Jaden Harper

"Jaden, je t'en prie, si vous partez à votre tour j'en mourrai !"

Hésitant un instant sur le seuil de la porte les yeux embués de larmes, Jaden prononça d'une voix dure ces seuls mots :

"Mamam. sache que pour nous, tu es déjà morte." et prenant la fragile main de sa sœur, lui murmura tendrement " Tout va bien se passer à partir de maintenant. Mais il faut qu'on avance. Ensemble. D'accord ?"

La petite tête baissée acquiesça discrètement et après un timide "Au revoir Maman" s'éloigna lentement, son frère à ses côtés, de la maison qui les avait vu naître pour finalement se fondre dans les ténèbres de la nuit. Son silence engloutit les pleurs et aux cœurs battants des deux jeunes gens succéda un calme intérieur absolu, apaisant et bienvenue.

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Sous une pluie battante, leurs tenues gorgés d'eau, deux hommes déambulaient dans les ruelles inondées du village prenant garde à chaque pas de ne pas glisser. L'un deux s'écrasa dans la boue sur un chemin ascendant et poussa un juron. Son compagnon l'encouragea à se relever pointant du doigt la raison de leur venu dans ce trou paumé au fin fond des Etats-Unis : une maison isolée en bordure de forêt. La maison était très abîmée, résultat de nombreuses années sans aucun entretien. L'humidité et les termites avaient attaqués les planches et les poutres et elles menaçaient de s'effondrer. Les deux hommes inquiets par ce triste constat frappèrent à la porte. Personne ne répondit. Ils hésitaient à aller plus loin mais leur travail les intimait de le faire. Après les somations habituelles ils enfoncèrent la porte et fouillèrent chaque recoin. L'endroit avait l'air abandonné, des objets traînant ici et là sur d'épaisses couches de poussière. Ce fut le plus âgé des deux qui trouva la femme. Lorsque son collègue lui jeta un regard interrogateur celui-ci répondit par un geste connu de tous et l'invita à quitter la maison. Leur travail ici avait prit fin plus tôt que prévu. Elisabeth Harper s'était taillée les veines et gisait là depuis des mois dans une baignoire rempli de sang et dont l'odeur qui s'en dégageait était prompt à soulever tous les cœurs même ceux des enquêteurs les plus endurcis.

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L'extinction des feux n'allait plus tarder à arriver. Jaden soupira. Il ne s'était jamais habitué au rythme de l'armée bien qu'il ait toujours rêvé d'en faire parti. Il se sentait toutefois à sa place avec le sentiment d'accomplir là un devoir envers sa famille autant qu'envers sa patrie : il marchait sur les traces de son défunt père et de sa défunte sœur, tous deux engagés et tombés sur le champ de bataille. Et quelle bataille ! Ils avaient atteints le cœur de leur ennemi héréditaire en occupant un temps sa capitale en débarquant d'un croiseur polaire, un véritable briseur de glace ! Deux victimes de l'incompétence des généraux d'époque qui pensaient tous qu'occuper le centre névralgique d'un pays signifiait le contraindre à la reddition. Mais l'expédition dont le désastre paraissait pourtant si prévisible fut présenté par une habile campagne de propagande comme une réussite grandiose allant au delà des espérances les plus folles de tout citoyen des Etats-Unis. Jaden Harper lui-même s'était laissé subjugué par la folie et c'est ce qu'il le poussa à s'engager à son tour dans l'armée : il voulait accomplir quelque chose de grand. Non. Il devait accomplir quelque chose de grand. Non, ce n'était pas encore ça. La renommé de son père et sa grande-sœur célébrés avec leurs compagnons d'armes en héros dans tout le pays était telle qu'il leur devait d'accomplir quelque chose de grand. Voilà, c'est comme ça qu'il voyait les choses. Pour l'heure Jaden dont les yeux étaient rouges de fatigue bailla la bouche grande-ouverte et décida de relire une dernière fois la lettre profitant du peu de temps qu'il lui restait.

Jaden a écrit:

Maman,
il me semble étrange alors que je couche mes mots de t'écrire ainsi cette lettre à l'heure où nous baignons chaque jour dans la technologie. Tu vis recluse comme une véritable amish. J'ai lu ce terme ancien quelque part dans un livre, il désignait une communauté peu encline à embrasser l'ère du temps. Elle a entièrement disparue... Enfin...je regrette ce que je t'ai dit en prenant Célia avec moi. Les mots étaient mal choisis... J'y repense chaque jour et je suis profondément désolé... C'était trop dure à supporter pour Célia et elle avait besoin d'un environnement sain pour grandir. Depuis que Papa et Grande-Sœur sont partit les choses sont allaient de mal en pis. Le monde n'allait pas bien, tu n'allais pas bien et nous n'allions pas bien non plus. Il fallait que je fasse ce choix. Seul le temps peut guérir les blessures. Je te rappelais Papa, Célia grande-sœur et chaque matin au réveil dès que nous descendions pour petit-déjeuner tu te mettais à fondre en larmes en nous voyant accablée de chagrin. Tu revenais sans cesse sur le passé quand nous devions, nous, songer à préparer l'avenir. C'était le seul choix responsable à faire, encore aujourd'hui j'en reste pleinement convaincu. J'ai placé Célia dans une famille sûre où elle pourra grandir et évoluer sereinement. Je suis en contact régulier avec elle ne t'en inquiète pas, elle va très bien. Je ne sais pas si nous nous reverrons un jour mais sache que nous gardons tous deux une place pour toi dans notre cœur.
Au revoir, Maman.  

Finir sur un beau mensonge c'était moche et Jaden après avoir soigneusement repliée la lettre la mine triste se mit au lit.

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"Ce type avait une petite sœur ?"

"De ce que j'ai appris ouais, mais elle reste introuvable. Son nom ne figure sur aucun registre, pour les Etats-Unis elle n'a tout bonnement jamais existé"

"Comme des milliers d'autres enfants... Pourquoi ils leur font ça ? Ils les privent de leurs droits les plus élémentaires."

"La guerre, mec. Ils ne veulent pas voir leurs mômes enrôlés de force et jetés en pâture à l'ennemi. Et personnellement je peux le comprendre même si je n'ai pas de gosses. En élever un durant des années pour que tout disparaisse en un instant à l'autre bout du monde c'est vraiment glauque. Elle a dû trop y penser avant de commettre le geste fatal."

"Ouais... mais... ils nous donnent une génération d'apatrides déconnectés du monde extérieur, sans aucun lien avec ce que sont les Etats-Unis. Tu vas voir, dans les prochaines années on s'en mordra les doigts. Comment bâtir une nation stable dans ces conditions ? Leur manque de discernement m'écœure, ils ne pensent qu'a leur petite personne et..."

L'aîné l'interrompu : " Ne te tracasse donc pas ainsi, le monde continuera de tourner sans nous ça tu peux le croire. Allez viens on a encore beaucoup à faire"

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Le convoi amorça la descente et s'immobilisa quelques secondes plus tard tout en douceur sans aucune secousse. La permission n'était que de courte durée, 24h, après quoi l'équipage devrait reprendre la route des terres désolées avec un nouveau chargement de prisonniers à son bloc. Jaden entra dans le hall du spatioport où un coursier indépendant l'attendait. Il lui remis la lettre et s'acquitta du reste du paiement, une petite fortune. Il n'existait en l'an 3000 aux Etats-Unis plus aucun réseau de distribution de courrier papier, la technologie les ayant supplanter. Jaden le regarda s'éloigner avec un tiers de sa paie du mois et prit, résigné, la direction du bureau des affectations où il allait passer en revue les prisonniers qu'il côtoierait bientôt. On lui transmis la liste qu'il survola. C'était sa routine, d'un ennui mortel. Aucun nom ne retenu son attention et il s'apprêta à la refermer lorsque son regard se porta sur un âge : 19 ans. Il lut : Evanna Larcher, n°365B, 19 ans, Française, arrêtée pour outrage à l'ordre public et atteinte à la sécurité national. Le fait qu'il y avait des étrangers dans sa liste ne le perturbait pas le moins du monde, après tout les seuls spatioports existants se trouvaient à l'Est et aux Etats-Unis. Mais 19 ans... c'était vraiment jeune, trop même. Piqué par la curiosité Jaden consulta sa photo et en eu aussi tôt la boule au ventre. Wow, quelle jolie fille ! Submergé par les flammes de cette passion naissante il dévora son fichier de police. Certaines informations à son sujet étaient classifiés par l'Etat Français et il en éprouva une très vive amertume. Peut-être pouvait-il demander aux officiels de lui donner l'accès ? Avait-il perdu la raison ? Ridicule comme idée ! Il fallait qu'il se ressaisisse... Peut-être t-il pouvait-il demander à des collègues de l'Intelligence Service ? Il avait sympathisé avec certains d'entre eux. Au fond de lui Jaden n'était pas convaincu qu'on puisse être amis avec ces gens là et quant bien même ils accepteraient de l'aider cela pourrait très bien leur coûter leur poste à tous, lui compris. Pourquoi le ferait-il ? Ridicule aussi comme idée ! Après quelques minutes d'intense réflexion il trouva enfin la solution. Evanna je te découvrirai moi-même, j'ouvrirai et fouillerai ta coquille jusqu'à que tu n'ais plus aucun secret pour moi ! Fort de sa nouvelle et excitante résolution, il quitta le bureau comme un prince sous les regards intrigués du personnel.

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La nuit était déjà bien avancé et à la faible lueur de la lampe paysages et personnages prenaient vie grâce à la douce valse du crayon à papier. Elle éteignit la lumière, aux aguets. Quelqu'un se tenait derrière la porte, si elle s'ouvrait ce serait une avalanche de reproches et elle pourrait dire adieu à ses petites activités nocturnes. Par chance, la porte resta fermée et le danger s'éloigna. Elle ralluma la lumière avec prudence. Rassurée, elle rangea ses dessins et prit un petit carnet joliment décorée ; son journal intime. Son petit jardin secret où elle y notait ses joies comme ses peines. Ce soir son cœur était lourd et les dessins avaient cette fois encore échoué à évacuer tout son chagrin. Ce soir encore ses pensées étaient pour son frère et les mots venaient sans efforts...

Célia a écrit:

Jaden,
Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à ton retour. Où es tu Grand-Frère ? Pourquoi je n'ai pas de nouvelles ? Es-tu triste ? Es-tu heureux ? M'as-tu oublié ? Ou que sois en ce moment sache que je garde espoir de te revoir. Je prie tous les jours comme nous a appris maman à le faire pour que mon souhait le plus cher se réalise enfin. Maman me manque aussi. Quand on est partit tu m'as dit que Maman était morte pourtant elle était bien vivante. Pourquoi Grand-Frère ? Pourquoi suis-je ici et dois-je le rester à jamais ? Monsieur et Madame sont très gentils avec moi et j'apprends pleins de choses avec eux. Je ne manque de rien ici mais tu me manques terriblement. S'il te plaît, revient me chercher !

La jeune fille s'arrêta un moment le regard perdu dans le vide. Les mots qu'elle venait de coucher sur le papier n'atteindraient jamais leur destinataire comme elle l'aurait pourtant voulue. Lorsqu’elle alignait ses pensées elle croyait avec force ce rêve possible. Mais maintenant que son crayon était relevé ce rêve avait prit fin et il ne lui était plus permis d'espérer. Dépitée elle referma son journal, éteignit la lumière et alla se coucher. Plus tard dans la nuit, des sanglots partiellement étouffés s'échappèrent de la pièce pour disparaître aussitôt, noyés dans le silence de mort qui régnait en maître absolu sur son domaine.

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Les uns derrières les autres, les mines grises et fermées, les prisonniers montaient à bord sous l'œil vigilant des gardiens, Jaden compris. Et comme d'habitude le cortège lui semblait ne pas avancer suffisamment vite. Il bailla à s'en décrocher la mâchoire ce que l'observateur ne manqua pas...eh bien... d'observer et elle lui décocha un regard mauvais ce qui l'agaça très franchement. Elle ne le lâcherait pas d'une semelle, Jaden en avait la très regrettable certitude. Il ne la voyait que la première fois et déjà il la haïssait et cela n'était pas dû au seul fait qu'elle soit Russe. "Salope..." pensa-il fortement. Il ne pourrait plus faire comme avant, à savoir flirter avec les jolies dames qu'elles soient de l'équipage ou non... "Salope !" pestiféra t-il à nouveau tout bas. Pourquoi avait-il fallu que l'ancien observateur décède ? Lui, il était aveugle comme une taupe ou alors s'en foutait royalement. Jaden n'avait jamais eu à s'en plaindre hormis du fait qu'il était russe bien sûr. Mais voilà, coup du sort le vieux était mort la veille et cette s**** l'avait remplacer au pied levé ! Les voyages interstellaires restaient sous contrôle des vainqueurs de la dernière guerre, à savoir la Russie et la Chine et ils imposaient au reste du monde une quantité incroyable de restrictions, d'interdictions et d'obligations pour entreprendre des voyages spatiaux. Parmi les obligations qui fait le plus grincer notre ami Jaden, vous l'aurez compris, l'obligation d'embarquer à bord un officiel russe ou chinois en qualité "d'observateur". Dans les faits l'observateur était aussi le vrai navigateur car lui seul connaissait les coordonnées de Skorpionis à entrer dans un terminal ultra-sécurisé et jusqu'à présent encore inviolé. "Ah si seulement je pouvais la balancer par le sas une fois là-haut..." se prit-il à rêver. Un bien doux rêve. Mais voilà que la belle approchait. Enfin ! Evanna Larcher, sa future proie. Alors qu'elle passa pile à sa hauteur, il prit une grande inspiration et rassemblant tout son courage la héla de cette belle façon : "Hé ma belle ! Les jolies filles m'appellent "Jolie cœur" par ici et toi comment souhaite tu m'appeler ?"
La réponse fut comme un coup de poing et la moutarde lui monta au nez. Ce n'était pas à quoi il s'attendait mais alors vraiment pas. Nullement décontenancée par son entrée théâtrale elle lui répondit avec son plus beau sourire qu'elle l'appellerait "l'idiot". Ce qui ne manqua pas d'amuser l'observateur. Elle 'approchait maintenant dangereusement de lui et avec un fort accent lui dit à demi-mots "Vous aimez souffrir n'est-ce pas ? Mais prenez garde ! Si je vous reprend à flirter ainsi j'ordonnerai votre mise à pied, compris ?". Il s'écrasa. "Bien Madame" et il la talonna pour monter à bord. *La Salope!!!* explosa t-il intérieurement.

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- "Hé, vous là ! Qu'est-ce que vous foutez là ? Z'avez pas vu les rubans ? Ils sont pas là pour faire jolie !"

- "J'ai une lettre pour Mme Harper, elle est absente ?"

- "Absente, ouais on peut présenter les choses ainsi" ricana le jeune.

- "Remettez-la nous ! " ordonna l'ancien. Voyant que le livreur hésitait il lui tendit sa carte sur laquelle on pouvait lire en grosses lettres "Police militaire".

- "Bon, bon... ne nous fâchons pas. La-voilà." Le livreur prit la direction de sa camionnette lorsqu'on le tira en arrière en l'agrippant par le bras. "Pas si vite ! Vous vous foutez de nous ou quoi ? ce courrier aurait dû être remis il y a deux ans !!"

Le livreur balbutia des propos incohérents pour se justifier ce qui lui valu d'être copieusement insulté avant d'être sèchement invité à déguerpir au plus vite.